Title: Audit du Fonds spécial de Solidarité Nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales

Decription:

Audit du Fonds spécial de Solidarité Nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales

Original document sources:

Audit du Fonds spécial de Solidarité Nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales

Premier Rapport

Exercice 2020

SYNTHESE

Juin 2021

AVERTISSEMENT

La présente synthèse est destinée à faciliter la lecture et l’utilisation du Rapport d’Audit de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême.

Seul le rapport et non sa synthèse, engage la Chambre des Comptes de la Cour Suprême

La Chambre des Comptes de la Cour Suprême a audité le « Fonds spécial de Solidarité Nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales » créé par l’ordonnance du Président de la République du 03 juin 2020 et doté de 180 milliards FCFA, répartis en 4 programmes pilotés par 24 départements ministériels.

Le présent rapport est centré autour des activités conduites par le Ministère de la Santé Publique (MINSANTE), le Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (MINRESI) et le Ministère des Finances (MINFI) pendant l’exercice 2020, sachant que les dépenses des autres départements ministériels jusqu’au 31 décembre 2020 au titre du Fonds spécial ont été peu significatives et sont évaluées à 9,8 milliards FCFA en paiement. Le périmètre d'audit a porté sur la mise en œuvre de 22 activités a été budgétée dans le Fonds spécial à hauteur de 99,59 milliards FCFA, les montants engagés à hauteur de 157,9 milliards FCFA ont largement dépassé ces prévisions. Le total des dépenses du Fonds Spécial en 2020 s’est élevé à 167,7 milliards FCFA.

Conformément aux dispositions de l’article 86 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018, le contrôle de la Chambre a porté à la fois sur la régularité de l’emploi des fonds publics, et sur la performance de l’action publique, c’est-à-dire son économie, son efficience et son efficacité.

Au terme de ses travaux, la Chambre fait six principaux constats.

  1. La faible qualité de l’information comptable et de l’information statistique comme obstacle majeur au pilotage de l’action publique et à son évaluation
  2. La faiblesse du pilotage stratégique, tant du Fonds spécial de Solidarité Nationale que de la riposte sanitaire mise en place par le MINSANTE, largement liée à un défaut d’évaluation des activités
  3. La gestion incertaine des médicaments
  4. La prise en charge des patients facilitée par le nombre limité des cas
  5. Les procédures d’urgence justifiées en début de pandémie, mais devenues contre-productives à partir de juillet 2020
  6. Des cas emblématiques d’activités à faible efficacité et de mauvaises pratiques identifiées

1. La faible qualité de l’information comptable et de l’information statistique comme obstacle majeur au pilotage de l’action publique et à son évaluation

1.1 La fiabilité limitée de l’information comptable

La Chambre souligne que les documents comptables bruts que lui ont fourni les comptables publics sont le plus souvent entachés de graves erreurs ou approximations, qu’elle a identifiées en recoupant les informations comptables avec les documents contractuels, notamment les marchés publics, et avec les informations recueillies à l’occasion des contrôles sur place: erreurs d’addition et de reporting, non prise compte de certains marchés, non prise en compte des dépenses faites par mise à disposition de fonds etc. Les documents comptables émanant de plusieurs sources officielles sont souvent contradictoires.

En dépit de ces difficultés, la Chambre a tenté de reconstituer les comptes 2020 du Fonds spécial de Solidarité nationale. Elle s’est heurtée à un obstacle supplémentaire, puisque ce compte d’affectation spéciale déroge largement au principe d’affectation d’une recette à une dépense.

Il en résulte que les principales recettes affectées au Fond Spécial en 2020 provenaient des partenaires techniques et financiers sous la forme de fonds de concours, et des versements en numéraire de personnes physiques et morales, pour un total de 26,8 milliards FCFA. Le reste, soit 159,9 milliards FCFA et 85,5% du total des recettes du Fonds spécial, a été constitué par les versements du budget général qui n’ont quasiment pas transité par le compte du Trésor dédié au Fond spécial.

Au final, la Chambre a été contrainte de se livrer à un travail complexe de recherche des dépenses imputables au Fonds spécial parmi l’ensemble des dépenses du MINSANTE, ce qui est contraire à l’objectif de transparence affiché.

En tenant compte de ces réserves, la Chambre est parvenue à reconstituer les comptes 2020 du Fonds spécial de Solidarité Nationale, avec un degré de fiabilité qui lui paraît acceptable, à 186,8 milliards FCFA en recettes et 167,7 milliards FCFA en dépenses.

Tableau 1 - Reconstitution des opérations budgétaires 2020 du Compte d’affectation spéciale covid-19

Emplois

Ressources

Activités du MINSANTE et du MINRESI (Programme 971)

Montants en milliers FCFA

Montants en milliers FCFA

A1A2: Surveillance communautaire dans les districts et A1A3: Conduite des campagnes de dépistage du Covid dans les dix régions

2 624 353

Versements bancaires

A2A1: Construction, réhabilitation, extension et aménagement des unités d’isolement des patients positifs au Covid 19

4 085 566

Espèces

57 695

A2A2: Aménagement et équipement des centres spécialisés de prise en charge des patients atteints de Covid 19

3 967 624

Compte UBA

150 000

A2A5: Aménagement et équipement des morgues et formations sanitaires spécialisées

383 917

Compte BGFI BANK

2 413 521

A2A6: Construction et réhabilitation des centres d’imagerie médicale

-

TOTAL

2 621 216

A2A7: Maitrise d’œuvre des travaux de construction, d’aménagement et d’équipement

421 290

A2A11: Aménagement des centres de mise en quarantaine dans les logements sociaux

507 207

Versements au compte du Trésor (n° 470552)

A2A10: Prise en charge hospitalière complète des patients atteints de Covid 19

1 085 802

Personnes physiques

120

A2A12: Gestion de l’hygiène en milieu hospitalier de prise en charge Covid 19

-

Membres du Gouvernement

154 600

A2A13: Gestion des dépouilles mortuaires des patients atteints de Covid 19

-

DB MINEDUB/EN

1 253

A1A1: Acquisition des ambulances médicalisées

25 806 000

Appui de la BDEAC

500 000

A2A3: Acquisition des équipements médicaux de prise en charge des patients atteints de Covid 19

12 761 291

Don HUAWEI

100 000

A2A4: Acquisition des ambulances médicalisées

880 000

TOTAL

75 085 354

A2A8: Acquisition des équipements de protection individuelle

26 783 571

A2A9: Acquisition des médicaments de prise en charge du Covid 19

836 443

Versements du budget général de l’Etat au MINSANTE

A3A1: Renforcement des mesures barrières contre le Covid 19

384 593

Versements au 31 décembre 2020

75 085 354

A3A2: Gestion de l’hygiène et de l’assainissement des milieux ouverts au public

787 867

TOTAL

75 085 354

A3A3: Gestion de la quarantaine des passagers arrivés au Cameroun en contexte d’épidémie

851 843

TOTAL MINSANTE

82 167 843

Versements du budget général de l’Etat aux autres ministères

A1A1: Evaluation de la performance des tests de dépistage rapide de la Covid 19 en vue de la certification

-

Versements au 31 décembre 2020

9 805 380

A1A2: Développement de la recherche et de la production locale des produits pharmaceutiques de première nécessité antibiotique, antipaludique, anti-inflammatoire et immuno-modulateur

-

TOTAL

9 805 380

A1A3: Renforcement de la collaboration entre naturopathes et personnel soignant pour le développement et la certification des produits traditionnels

-

A1A4: Production de la chloroquine et de l'azithromycine

610 710

Versements du budget général de l’Etat pour l’apurement de la dette intérieure et du stock de crédits de TVA

A3A1: Utilisation des extraits de plante médicinale traditionnelles pour le contrôle des parasites intestinaux des ruminants et les maladies/ravageurs des plantes et produits agricoles

-

Remboursement des crédits de TVA

25 000 000

A3A2: Production des semences de pré base de cultures vivrières prioritaires pour le renforcement de l’autosuffisance alimentaire et nutritionnelle

19 565

Dette intérieure « Abonnés de l’Etat »

25 000 000

A3A3: Renforcement de la production piscicole et des monogastriques améliorés

-

Apurement dette intérieure et subventions

25 085 611

TOTAL MINRESI

630 275

TOTAL

75 085 011

Dette publique intérieure (Programme 972)

Remboursement des crédits de TVA

25 000 000

Dette intérieure « Abonnés de l’Etat »

25 000 000

Apurement dette intérieure et subventions

25 085 611

Versements des Partenaires techniques et financiers (PTFs)*

TOTAL Dette publique

75 085 611

Versements en fonds de concours au 31 décembre 2020

23 485 000

TOTAL

23 485 000

Autres administrations

9 805 380

TOTAL GENERAL

167 688 633

TOTAL GÉNÉRAL

186 837 934

1.2 L’insuffisante fiabilité de l’information statistique

La fiabilité de l’information statistique concernant le suivi de la pandémie apparaît également insuffisante. La Chambre souligne en particulier l’absence d’une procédure de contrôle et de validation des données collectées sur l’évolution de la pandémie COVID-19 par les acteurs de la pyramide sanitaire, et l’absence d’une application informatique centrale et intégrée de production et d’analyse des données statistiques.

Au total, la faible qualité de l’information comptable et statistique a handicapé les autorités dans le pilotage de la riposte à la pandémie. Il convient de remédier aux défauts concernant l’information statistique sur le suivi sanitaire de la pandémie (recommandations n°18 à 20). S’agissant de l’information comptable, il importe d’accélérer la réforme comptable en cours, notamment dans son volet portant sur l’automatisation de la collecte des informations comptables et financières (recommandation n°29)

2. La faiblesse du pilotage stratégique, tant du Fonds spécial de Solidarité Nationale que de la riposte sanitaire mise en place par le MINSANTE, largement liée à un défaut d’évaluation des actions

La faible qualité de l’information comptable et statistique évoquée ci-dessus a empêché les autorités d’avoir une vision fine tant de la gestion du Fonds spécial que le gestion de la pandémie.

2.1 Le pilotage stratégique de Fonds spécial de Solidarité Nationale

Si le Premier Ministre a, dès le début de la pandémie, mis en place une organisation visant au pilotage de la crise, le pilotage du volet financier du Plan de riposte, c’est-à-dire de l’exécution des recettes et des dépenses du Fonds spécial, a été  laissé à la diligence du Ministère des Finances, qui a notamment organisé les remontées d’informations des ministres à travers la circulaire du 22 juillet 2020.

Des dysfonctionnements relatifs à un certain nombre d’activités sont apparus rapidement, et auraient mérité des correctifs immédiats. Des dépassements des prévisions massifs ont été enregistrés sur certaines activités et, au final, sur le programme 971 « Renforcement du système sanitaire »: s’ils pouvaient avoir en début de pandémie, des justifications liées notamment au défaut de prévision budgétaire, ils auraient mérité d’être approuvés au plus haut niveau. Certaines activités prioritaires de prévention, comme la surveillance communautaire et la conduite des campagnes de dépistage en région ont été sous-financées, alors que les crédits étaient disponibles. La question de l’efficacité de certaines activités et de leur maintien dans le dispositif aurait dû être posée très rapidement.

Mais tel n’a pas été le cas.

Tout au contraire, la gestion du Fonds spécial a privilégié l’opacité: à l’exception du MINSANTE, les départements ministériels n’ont pas produit au MINFI les rapports trimestriels attendus, et la Caisse Autonome d’Amortissement n’a pas produit au Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire et au Ministère des Finances les rapports mensuels sur la situation des décaissements effectifs des projets sur financement extérieur.

C’est pourquoi la Chambre estime nécessaire de renforcer fortement le pilotage stratégique du Fonds spécial, notamment en inscrivant régulièrement à l’ordre du jour des réunions de l’instance interministérielle chargée du pilotage stratégique de la pandémie instituée auprès du Premier Ministre, l’examen des comptes du CAS et de la performance de chacune des activités financées. (recommandations n°1 et 2).

2.2 Le pilotage stratégique des actions du MINSANTE

Alors que le MINSANTE mettait sur pied très rapidement un tableau de bord sur l’évolution des chiffres de la pandémie sur le territoire, il n’existe pas de tableau de bord permettant de suivre des indicateurs-clés de la gestion administrative, qui lui auraient permis d’avoir une visibilité sur l’efficacité de la mise en œuvre du volet sanitaire du Plan de riposte, et d’en corriger à son niveau les dysfonctionnements.

La Chambre constate une absence dommageable de suivi en ce qui concerne l’engagement des crédits par activité, les délais de mise en œuvre, notamment pour les travaux et les livraisons de biens achetés, le caractère opérationnel des bâtiments livrés, l’utilisation des stocks et leur distribution sur le territoire.

En outre, la gestion administrative du MINSANTE a souffert des incertitudes dans l’articulation des compétences du Centre de Coordination des Opérations d’Urgence de Santé Publique (CCOUSP) et d’une structure nouvelle créée le 9 avril 2020, le Système de Gestion des Incidents (SGI). Les compétences accordées à ces deux structures apparaissent redondantes. En pratique, le SGI apparaît comme l’échelon opérationnel et décisionnaire pour l’essentiel des décisions relatives à la gestion de la pandémie de Covid 19.

La Chambre note la faiblesse du cadre procédural relatif à l’activité du SGI comme à l’activité du CCOUSP: l’un comme l’autre travaillent sans procédures administratives et opérationnelles formalisées et le SGI ne dispose pas d’un outil de gestion informatique (recommandations n°21 et 22). Ce constat recoupe les conclusions de la mission d’évaluation conduite par l’Organisation Mondiale de la Santé en 2017 sur la capacité du pays à mettre en œuvre le Règlement sanitaire international

3. La gestion incertaine des médicaments

Le MINSANTE a mis à la disposition des fonds régionaux pour la promotion de la santé une enveloppe de 300 millions FCFA pour qu’ils procèdent eux-mêmes à l’achat de médicaments. Les investigations de la Chambre menées sur place ont montré que les principaux centres de prise en charge ont été approvisionnés en médicaments du protocole de traitement pendant l’année 2020. En revanche, la Juridiction n’est pas en mesure de dire si les patients traités à domicile ont pu systématiquement recevoir un traitement approprié.

En outre, le MINSANTE a passé 4 marchés de médicaments, pour un montant de 536,44 millions FCFA, mais n’a pas été en mesure d’indiquer à la Chambre où ils avaient été stockés ni quel avait été leur usage. Ils n’ont pas fait l’objet d’enregistrement en comptabilité matière, de sorte que la Chambre des Comptes estime que le risque de détournement est très élevé.

D’une façon plus générale, la Chambre observe que les informations sur la disponibilité des médicaments et des équipements médicaux dans chaque centre de prise en charge n’étaient pas collectées ni suivies en temps réel par l’administration centrale du MINSANTE en 2020, ce qui lui interdisait de réagir rapidement.

La Chambre des Comptes a au surplus constaté la gestion erratique des stocks d’hydroxychloroquine et d'azithromycine achetés dans des conditions critiquables par l’IMPM dont le Directeur Général laissait croire qu’il était en mesure de les fabriquer localement. En tout état de cause lesdits médicament sont restés stockés dans les locaux de l’IMPM au 31 décembre 2020 sans être distribués. Si les centres de prise en charge ont été approvisionnés en 2020 pour ces 2 médicaments, c’est principalement à partir des dons.

C’est seulement depuis le début de l’année 2021 que le CCOUSP a mis en place un dispositif informatisé de suivi des stocks d’équipements de protection individuelle et médicaments au niveau de chaque délégation régionale de la santé publique, qui permet d’avoir un début de visibilité sur les besoins. La Chambre souligne qu’il faudrait aller plus loin et mettre en place un suivi informatisé avec chaque centre de prise en charge.

4. La prise en charge des patients facilitée par le nombre limité des cas

Globalement, et en dépit des fragilités du suivi statistique, il apparaît que le système hospitalier a su faire face au flux des patients en 2020, d’autant que la première vague d’hospitalisation a commencé à refluer à partir du mois de juillet. Au 31 décembre 2020, selon les chiffres officiels, 25 268 patients avaient été testés positifs au Covid-19 et traités pour cette maladie, 19 780 étaient guéris à cette date et 506 étaient décédés.

Dès le début de la pandémie, les personnels soignants ont bénéficié des équipements de protection individuelle, qui leur ont été fournis en quantité suffisante.

4.1 Au niveau national: le système hospitalier a été en capacité d’accueillir le flux des patients

Le MINSANTE a labellisé 231 centres publics de prise en charge et 2 centres privés (hôpital protestant de Djoungolo à Yaoundé, et Clinique de l’Aéroport à Douala) dès les premières semaines de la pandémie. En dehors des grands centres urbains, beaucoup d’hôpitaux ont dû s’adapter, lorsque leurs locaux ne leur permettaient pas d’isoler les patients, en recourant à l’hospitalisation à domicile, au risque de contaminer l’environnement familial.

Graphique n°1 - Evolution du nombre de patients hospitalisés au Cameroun en 2020

(source: Rapports de situation Covid-19; CCOUSP)

Le graphique ci-dessus est tiré des éléments statistiques publiés hebdomadairement par le CCOUSP dans les rapports de situation Covid-19.

Les capacités d’accueil en nombre de lits, et le nombre de respirateurs et concentrateurs sont toujours restés en nombre suffisant au regard des besoins. A partir du mois de juillet, le nombre de patients hospitalisés s’est fortement réduit. A compter de cette date, le système hospitalier a traité principalement des patients ambulatoires, c’est-à-dire les patients dont l’état de santé ne justifiait pas une hospitalisation complète.

4.2 Des signes de tension ont été enregistrés en début de pandémie dans la Région du Centre

L’analyse des données portant sur les 2 régions qui ont été les plus touchées par l’épidémie, le Centre et le Littoral, montrent toutefois des signes de tension pour la Région du Centre en début de pandémie.

Graphique n°2 - Evolution du nombre de patients hospitalisés en région Centre en 2020

Le graphique n°2 suggère que le système hospitalier a été sollicité au-delà de ses capacités en début de pandémie dans la région du Centre, c'est-à-dire pendant les mois de mai et juin 2020. Il convient toutefois de souligner que les statistiques sur le nombre de lits affectés à la pandémie entre avril et juillet 2020 sont d’autant plus sujettes à caution que le système de recueil de données statistiques n’était pas rodé.

La mise en service du centre ORCA a cependant permis d’améliorer sensiblement la réponse à la pandémie dans la région du Centre à partir de la mi-juin.

Dans la région du Littoral, les statistiques font apparaître une situation sous contrôle.

En conclusion sur ce point, la Chambre des Comptes souligne que le système hospitalier pourrait être mis en difficulté si surgissait une vague plus intense de la pandémie, qui viendrait à toucher un nombre de patients significativement plus élevé qu’en 2020, alors que les mesures gouvernementales tendant à accroître les places disponibles pour la prise en charge des patients et leur mise en quarantaine ont eu une efficacité souvent limitée. Le MINSANTE devrait également se préoccuper de la motivation des personnels de santé, et prévoir une harmonisation des primes exceptionnelles qui leur sont attribuées, en donnant aux hôpitaux les moyens de les leur verser, ce qui n’a pas toujours été le cas en 2020 (recommandation n°16).

5. Les procédures d’urgence justifiées en début de pandémie, mais devenues contre-productives à partir de juillet 2020

Les fortes incertitudes liées à la faible connaissance de la maladie en début de pandémie et aux risques d’expansion incontrôlée du nombre de malades ont pleinement justifié le recours à des mesures d’urgence en début de pandémie, entre les mois de mars et juillet 2020.

La Chambre observe que le maintien des procédures d’urgence après le mois de juillet, alors que les mesures de restriction décidées par le gouvernement avaient été assouplies et que le nombre de patients apparaissait maîtrisé, s’est avéré contre-productif.

5.1 Mars à Juillet 2020: des interventions placées sous le signe de l’urgence

Les marchés spéciaux ont été autorisés par Lettre n°A263/SGPR du 07 avril 2020 du Secrétaire Général de la Présidence de la République. Ils ont concerné principalement le MINSANTE, dont le Chef de département ministériel a mis en place un groupe de travail composé de fonctionnaires du ministère chargé de la gestion des marchés, à toutes les étapes, depuis la définition des besoins jusqu’à la réception des travaux et la livraison des bien et, habilité le Secrétaire d’Etat chargé de la lutte comme ordonnateur délégué.

Ces marchés ont été passés alors que le décret du 22 juillet 2020 définissant les activités du programme 971 et répartissant les fonds qui leur ont été alloués n’était pas encore paru. Dès lors, les engagements de dépense du MINSANTE se sont faits sans connaissance des lignes budgétaires du Compte d’affectation spéciale. La Chambre souligne notamment l’importance des engagements de dépenses relatives aux tests de dépistage (25,7 milliards FCFA en 2020), aux équipements de protection individuelle (26,78 milliards FCFA) et aux équipements médicaux (11,77 milliards FCFA).

Au début de la pandémie, les marchés spéciaux ont porté sur des objets variés (tests de dépistage, aménagement du centre de prise en charge des patients à ORCA, gestion de l’hygiène et de l’assainissement des milieux ouverts au public). La situation d’urgence sanitaire a également donné lieu à des réquisitions d’hôtels et de l’hôpital protestant de Djoungolo.

5.1.1 L’aménagement d’un centre de prise en charge de 300 lits dans le bâtiment ORCA de Yaoundé

Au début de la pandémie, le MINSANTE a cherché à aménager un centre d’accueil de référence des patients atteints par le Covid-19 à Yaoundé, et s’est tourné vers le bâtiment dit « ORCA » disponible au centre-ville et appartenant au groupe PROMETAL.

Cet bâtiment à usage commercial a fait l’objet d’une mise à disposition par son propriétaire par une simple lettre en date du 30 avril 2020, et a été aménagé en clinique par le MINSANTE pour un coût de 1,041 milliards FCFA. La Chambre observe que cette situation est porteuse de risques élevés pour l’administration, qui n’a pas pris soin de rédiger une convention de mise à disposition. Ces risques portent sur:

Compte tenu de l’importance de cette clinique dans le dispositif de traitement des patients et des coûts d’aménagement consentis, la Chambre des Comptes estime qu’une restitution en l’état n’est pas souhaitable. Elle recommande dès lors de négocier une convention avec le propriétaire prévoyant une juste indemnisation et le rachat du bâtiment (recommandation n°9).

Deux marchés spéciaux, conclus pour les travaux de restructuration et l’aménagement et l’ameublement de ce centre spécial de prise en charge pour un total de 631,6 millions FCFA ont été attribués à la SARL BF Rest, dont le Directeur Général est également Directeur Général de la société ORCA, appartenant au groupe PROMETAL.

En l’absence de loyer pour la mise à disposition du bâtiment ORCA, l’attribution de ces deux marchés spéciaux à une société liée au groupe PROMETAL, non soumise aux procédures de mise en concurrence du Code des marchés publics, apparaît une contrepartie déguisée.

 5.1.2 La gestion de l’hygiène et de l’assainissement des milieux ouverts au public

En l’absence de cadre stratégique fixé par le MINSANTE, cette mesure a donné lieu à des actions éparses, principalement axées sur la désinfection de bâtiments publics et des habitations des patients testés positifs.

Les marchés concernant Yaoundé ont été attribués à hauteur de 157 millions FCFA sans mise en concurrence aux ETS AFRICAN DISTRIBUTION COMPANY, société créée le 14 février 2020 et sans expérience des métiers de l’hygiène et de l’assainissement. Ce choix, qui semble peu pertinent, n’a pas été de nature à garantir une qualité optimale de la prestation, notamment en raison de l’inexpérience des personnels.

La Chambre des Comptes observe un fort déséquilibre entre les 157 millions FCFA dont a bénéficié la ville de Yaoundé, et les 49,5 millions FCFA octroyés au reste du territoire national, sans que cet écart soit justifié par des critères objectifs, alors que les résultats de cette activité sont difficiles à évoluer, parce que les chiffres bruts produits sur le nombre de lieux désinfectés ne sont pas mis en relation avec les besoins à couvrir.

5.1.3 Les réquisition d’hôtels: l’accueil des voyageurs placés en quarantaine

L’urgence s’est aussi traduite par la réquisition d’hôtels en début de pandémie, pour permettre le placement en quarantaine des voyageurs débarquant des aéroports internationaux de Yaoundé et Douala, et des ports autonomes de Kribi et Douala avant la fermeture des frontières. A Yaoundé, le Gouverneur de la Région du Centre a réquisitionné 17 établissements hôteliers le 17 mars 2020 et 3 établissements supplémentaires le 25 mars. A Douala, le Gouverneur de la Région du Littoral a réquisitionné 12 établissements les 17 et 18 mars 2020.

Les dernières réquisitions se sont achevées le 17 avril 2020 à Douala et le 30 avril 2020 à Yaoundé. Elles ont concerné 722 passagers à Yaoundé et 306 passagers à Douala. Le montant total des dépenses, qui concerne principalement l'hébergement, la restauration, le transport et la sécurisation des hôtels, s’est élevé à 843 millions FCFA.

Au 31 décembre 2020, les restes à payer du MINSANTE aux hôteliers s’élevaient selon ces derniers à 208,1 millions FCFA.

5.1.4 La réquisition de l’hôpital protestant de Djoungolo

Par lettre du 23 mars 2020, l’hôpital protestant de Djoungolo, qui est un établissement privé, a été entièrement réquisitionné par le Ministre de la Santé Publique au nom de la cause nationale de lutte contre la COVID-19, jusqu’en août.

Pendant cette période, 335 patients ont été admis dans cet hôpital, dont 267 étaient des cas confirmés au test PCR. L’activité ordinaire de l’hôpital a été interrompue. En l’absence de recettes propres, les ressources de l'hôpital ont entièrement dépendu du versement d’une prime du MINSANTE, qui s’est élevée à 27 millions FCFA pour les mois de mars à juillet inclus, alors que les charges de l’hôpital d’avril à août 2020 se sont élevées à 123,3 millions FCFA. L’hôpital a repris son activité normale au mois d’août 2020 sans avoir reçu de notification officielle de fin de réquisition.

La Chambres des Comptes observe qu’en dépit de l’intervention de l’ONG « Médecins sans Frontières », qui a notamment pris à sa charge le versement des primes du personnel pour un total de 55,4 millions FCFA, cette réquisition a mis cet établissement en grande difficulté, parce que l’administration n’a pas tenu compte de ses contraintes de gestion, et notamment de ses charges salariales.

5.1.5 La construction et le démantèlement des unités d’isolement et des centres spécialisés de prise en charge installés dans les stades

Les unités d’isolement et les centres de prise en charge construits dans les 4 stades pour un total de 841,2 millions FCFA n’ont finalement accueilli aucun patient atteint du Covid-19 avant leur démantèlement décidé par note du 07 octobre 2020 du Secrétaire Général de la Présidence de la République, en vue de la prise en main des infrastructures par la Confédération Africaine de Football (CAF). Ce démantèlement précoce était lié à l’impératif de redonner leur vocation sportive aux stades prévus pour accueillir le Championnat d’Afrique des Nations (CHAN) en janvier 2021.

Même si ces structures n’ont pas été utilisées, la Chambre des Comptes souligne que la décision de créer des unités d’isolement et des centres de prise en charge dans des stades était approprié au moment où elle a été prise, alors que le Ministre de la Santé Publique n’avait aucune visibilité sur l’évolution de la pandémie et le nombre de malades à isoler et à soigner, mais qu’il avait le devoir de se préparer à faire face au scénario le plus pessimiste. Dans un environnement devenu aussi incertain, l’organisation du CHAN ne pouvait plus être un objectif prioritaire et devait nécessairement s’effacer au profit d’un objectif impérieux de sécurité sanitaire: si la pandémie avait pris de fortes proportions, comme on le redoutait à l’époque, alors les lits installés dans les stades auraient été utilisés et le CHAN 2021 n’aurait pas pu se tenir.

5.2 Juillet à décembre 2020: une généralisation contre-productive des procédures dérogatoires

Alors que les principales mesures de restrictions instaurées le 17 mars 2020 ont été assouplies le 30 avril 2020, que la reprise progressive des cours en salle pour les élèves et étudiants est intervenue à partir du 1er juin 2020 et que le cadre budgétaire à la riposte à la pandémie a été fixé par l’ordonnance du 03 juin 2020 et le décret de répartition du Premier ministre du 22 juillet 2020, le recours à des procédures dérogatoires au motif de l’urgence a été maintenu. 

En particulier le recours systématique aux marchés spéciaux et les blocages de fonds, c’est-à-dire le paiement en liquide pour les dépenses publiques aux montants souvent très élevés, ont eu des effets pervers susceptibles de mettre en cause l'efficacité des mesures du Plan de riposte gouvernemental, et de faciliter les détournements de fonds publics faute de traçabilité des flux financiers.           

5.2.1 Des procédures d’urgence plus lentes que les procédures ordinaires

Deux exemples illustrent l’utilisation abusive de la procédure dérogatoire des marchés spéciaux, avec le résultat paradoxal de ralentir la fourniture des prestations ou des travaux.   

5.2.1.1. Seize (16) ambulances payées à un prix deux fois supérieur au prix du concessionnaire et non livrées au 31 décembre 2020

Les deux marchés signés avec les sociétés YAO PHARM SARL et MEDILINE MEDICAL CAMEROUN SA datent des 20 et 21 août 2020, les ordres de service de démarrage des prestations, qui auraient dû intervenir dans un délai de 18 jours selon la procédure ordinaire, c’est-à-dire non urgente, ne sont intervenus que le 29 décembre 2020, soit cinq mois après la signature desdits marchés. En d’autres termes, le recours à la procédure dérogatoire des marchés spéciaux, au motif de l’urgence, a ralenti de 4.5 mois la commande d’ambulances par rapport à une procédure ordinaire, ce qui la rend injustifiable. Au 31 décembre 2020 les ambulances commandées n’avaient toujours pas été livrées.

En outre, la Chambre observe que le prix facturé au MINSANTE est de 55 000 000 FCFA par ambulance, soit plus du double du prix en vigueur chez un autre concessionnaire de Yaoundé.         

5.2.1.2 La construction de centres d’isolement inachevés au 31 décembre 2020

Au 31 décembre 2020, sur les 11 centres d’isolement en construction, seul le centre d’isolement de l'hôpital Laquintinie de Douala dont la capacité est de 22 unités, avaient accueilli des patients atteints de COVID 19.

À cette même date, quatre centres d’isolement étaient considérés comme fonctionnels ( Buéa, Ebolowa, Mandjou, Garoua ), sans pour autant avoir accueilli des patients et 6 centres d’isolement étaient toujours en construction ( Bafoussam, Bamenda, Bertoua, Ngaoundéré, Maroua, Meyomessala ) alors que les délais contractuels d'achèvement des travaux avaient été dépassés sans signature d’un avenant, et sans qu’aucune procédure de sanction des retards ne soit engagée, en contradiction avec l’urgence affichée.           

5.2.2 Des marchés attribués à des entreprises sans expérience au offrant de faibles garanties

Les marchés spéciaux n'étant pas soumis au Code des marchés publics, le MINSANTE a opté pour la création d’un groupe de travail interne chargé de donner un avis technique sur l’attribution des marchés. En pratique, l’avis du groupe de travail, fondé sur des critères souvent peu transparents, a été déterminant dans la décision d’attribution des marchés, même si parfois celle-ci a été prise avant.

Ses résultats sont souvent surprenants. Ils montrent que les entreprises attributaires, dans de nombreux cas, ne présentaient pas les garanties de sérieux et d’expérience que le MINSANTE était en droit d’exiger. 

L’exemple des marchés des équipements des prises en charge des patients atteints du COVID-19 illustre ces dérives. Alors que le MINSANTE avaient pré-sélectionné 303 prestataires par décision du 29 mai 2020, 96 fournisseurs non présélectionnés ont été attributaires des marchés.

Parmi eux, quatre sociétés, FUNDING TRANSFERT AND SERVICES GROUP SA, PROOF CONSULTING GROUP SARL, TECHNOLOGIE MEDICALE DU CAMEROUN SARL et NEW PHARMA SARL se sont immatriculées au Registre du Commerce et du Crédit mobilier ( RCCM) en juillet et août 2020. Elles ont été attributaires de marchés pour un total  de 2.068 milliards FCFA quelques jours seulement après leurs immatriculations.                

5.2.3 Une faible traçabilité des flux financiers en numéraire, largement utilisés en dehors des cas prévus par la réglementation

Les dépenses en numéraire devraient être conformes aux dispositions du décret n° 2020-375 du 7 juillet 2020 portant règlement général de comptabilité publique, et notamment ses articles 75 et 78 qui en réserve la possibilité à des dépenses de faible montant ou, s'agissant de régies d'avances, à des cas strictement limités.

Or la chambre des Comptes constate que les paiements en numéraire ont été largement utilisés après le 7 juillet 2020 en dehors des cas prévus par la réglementation, notamment pour le paiement de marchés publics et pour des montants importants: la Chambre des Comptes a identifié le paiement en numéraire de 200,9 millions FCFA de marchés d'équipements de protection individuelle et de 1,214 milliards FCFA d'équipements médicaux. Ce recours s'est fait  au détriment de la transparence, avec des risques d'abus et de détournements qui lui sont associés, et sans qu'on en comprenne la valeur ajoutée par rapport au circuit ordinaire de la dépense.

La Chambre des Comptes estime que si le recours au paiement en numéraire peut se justifier dans certains cas a minima, le paiement de marchés en numéraire devrait être strictement prohibé (recommandation n° 4).

5.2.4 Une absence de contrôles préjudiciables à la bonne exécution des marchés

D'une manière générale, certains acteurs-clés du circuit de contrôle de la dépense ont souvent été court-circuités. Or, la circulaire du 22 juillet 2020 du Ministre des Finances relative à la gestion du Fonds spécial prévoyait le maintien de ces contrôles. La Chambre a en particulier relevé:

En conclusion, la Chambre estime que les circonstances ne justifient plus le recours aux marchés spéciaux, qui ne devraient plus être autorisés dans le cadre de la riposte à la pandémie (recommandation nº 5).

6. Des cas emblématiques d’activités à faible efficacité et de mauvaises pratiques identifiées

6.1 Des activités dont l’efficacité a été faible ou nulle

6.1.1 Des achats d’hydroxychloroquine et d'azithromycine à l’étranger, un reconditionnement local

Alors que l'objectif affiché du MINRESI était de faire produire localement par l' IMPM l'hydroxychloroquine et l'azythromicine, un rapport d'évaluation de la Direction de la Pharmacie, des Médicaments et du Laboratoire du Ministère de la santé, en date du 28 avril 2020, soulignait que le site de fabrication de l'IMPM n'était pas conforme aux exigences de la production industrielle de médicaments.

Dès le mois de mars, I'IMPM était en négociation avec un importateur pour acheter en Inde des comprimés d'hydroxychloroquine et d'azithromycine. Le 29 juillet 2020, I'IMPM reçu une livraison de cinq millions de comprimés d'hydroxychloroquine, cinq cent mille comprimés d'azithromycine et des intrants d'azithromycine (12 futs de 25 kg chacun) pour un montant de 601,3 millions FCFA. Si la commande de l'IMPM portait sur des comprimés en vrac, la Chambre a pu établir que ces médicaments ont été livrés déjà conditionnés. L'IMPM a décidé de reconditionner ces médicaments dans de nouveaux emballages, pour un montant de 9,356 millions FCFA La Chambre souligne que ce reconditionnement local ne pouvait avoir d'autre objectif que de faire croire à une fabrication locale. Eile estime qu'une telle activité n'a pas pu être menée à une telle échelle sans que le MINRESI n'ait été au courant.

Au 31 décembre 2020, les cinq millions de comprimés d'hydroxychloroquine, les cinq cent mille comprimés d'azithromycine et les intrants d'azithromycine (12 futs de 25 kg chacun) restaient stockés à l'IMPM, sans aucun usage. La Chambre ne recommande pas toutefois la distribution d'hydroxychloroquine dans les hôpitaux, puisque l'avis du Conseil scientifique en date du 8 avril 2021 en déconseille désormais l'utilisation, mais seulement la distribution d'azithromycine recommandation nº 10).

6.1.2 L’aménagement des centres de mise en quarantaine dans les logements sociaux

Au regard de l'insuffisance des capacités d'accueil des formations sanitaires des villes de Yaoundé et Douala, et des coûts élevés des hôtels où ont été mises en quarantaine au début de la pandémie les personnes infectées, le MINSANTE a décidé d'aménager et d'équiper des logements sociaux du Camp SIC du quartier Olembe à Yaoundé et du quartier Mbanga Bakoko à Douala, avec l'objectif d'être en capacité d'accueillir dans ces villes plus 3500 personnes avant le 15 avril 2020. Il a également procédé à l'aménagement de deux containers à l'aéroport international de Nsimalen.

Les bâtiments aménagés à Yaoundé et à Douala ont donné lieu à des engagements de crédits de 507,2 millions FCFA, À Yaoundé, s'ils ont accueilli les personnes mises en quarantaine en mars et avril 2020, ils ne sont désormais plus disponibles puisqu'ils ont été remis de façon surprenante à la disposition de la Société Immobilière du Cameroun, qui a commencé à attribuer les logements meublés par le MINSANTE à des personnes privées, alors même que les risques de résurgence de l'épidémie restent présents et qu'il serait nécessaire de disposer de lieux de quarantaine. Seuls deux containers sont disponibles à l'aéroport international de Nsimalen.

A Douala, 9 bâtiments restent à la disposition du MINSANTE pour d'éventuelles mises en quarantaine. La Chambre observe que les objectifs que cette activité était censée poursuivre n'ont pas été atteints en ce qui concerne le Camp SIC du quartier Olembe à Yaoundé, et qu'en outre les travaux sur ce site ont donné lieu à des prestations fictives pour un total de 118,5 millions FCFA.

6.2 Des cas avérés de mauvaises pratiques et de détournements

6.2.1 Une surfacturation de 15,3 milliards FCFA au profit de la société MEDILINE MEDICAL CAMEROON SA, importatrice des tests de dépistage

Au 31 décembre 2020, sur 1,503 millions de tests achetés (tous types confondus), 1,4 millions avaient été fournis par la société MEDILINE MEDICAL CAMEROON SA, le reste étant partagé entre MEDICAL PLUS SARL et SAT PHARMA, qui sont deux opérateurs nationaux dont l'expérience dans la vente de médicaments et dispositifs médicaux est avérée.

MEDILINE MEDICAL CAMEROON SA, principal attributaire des marchés des tests, est immatriculé au registre de commerce depuis le 13 septembre 2017, mais cette société n'avait justifié d'aucune activité jusqu'en janvier 2020. Le choix de cette entreprise inexpérimentée, au détriment de sociétés locales qualifiées, est d'autant plus étonnant que les prix finaux auxquels l'opération a été traitée apparaissent déconnectés des prix du fabricant et ceux sur le marché international.

Quatre marchés ont été passés avec MEDILINE MEDICAL CAMEROON SA les 19 juin (100 000 et 300 000 tests), 15 juillet (500 000 tests) et 16 décembre 2020 (500 000 tests) au prix de 17 500 F CFA le test antigène « Standard Q Covid 19 AG Test »

Or les prix pratiqués par le laboratoire SD BIOSENSOR à partir de la mi-mai 2020 et  disponibles sur son site internet étaient très nettement inférieurs: ils s'établissaient à 10,80 € le test antigène « Standard Q Covid-19 AG Test », soit 7 084 FCFA pour toute commande supérieure ou égale à 3 cartons de 25 kits de tests antigènes.

L'homologation du prix d'achat par la Commission dédiée du MINCOMMERCE n'apparaît pas comme un modèle de transparence. Pour établir le prix du kit de 25 tests, la Commission de validation des prix et des tarifs de cette administration disposait de trois prix de référence émanant de trois sources différentes:

La Chambre des Comptes observe que les prix proposés par MEDILINE MEDICAL  CAMEROON SA et son intermédiaire MODA HOLDING HONG KONG n'étaient pas crédibles, l'un étant quinze fois supérieur à l'autre, et tous deux étant fortement éloignés du prix affiché par le fabricant SD BIOSENSOR avec lequel ils étaient pourtant en relation étroite. Seul le prix de 162 960 CFA le kit de 25 tests se rapprochait des prix du fabricant et de ceux du marché.

C'est pourtant un quatrième prix qui, de manière incohérente, a été retenu par la Commission de validation, à 17 500 F le kit de 25 tests, soit 700 F le test. La Chambre relève le caractère irréaliste de ce prix, et la confusion autour du chiffre de 17 500F qui, selon la Commission du MINCOMMERCE concerne le kit de 25 tests, mais qui a été acté par le MINSANTE comme étant le prix d'un seul test.

Si l'on prend pour référence le prix de 162 960 FCFA, soit 6518 FCFA le test, qui aurait dû en bonne logique être validé par la Commission de validation des prix et des tarifs du MINCOMMERCE, la surfacturation au profit de la société MEDILINE MEDICAL CAMEROON SA, importatrice des tests de dépistage, s'établit à 15,3 milliards FCFA.

La Chambre observe en outre que le quatrième marché portant sur 500 000 tests a été signé au mois de décembre 2020 au prix de 17 500F CFA le test, alors que la commande aurait pu être passée auprès du Fonds mondial de lutte contre le VIH, la Tuberculose et le Paludisme à 2 932 FCFA le test, soit un coût d'opportunité injustifié de 7 284 000 000 FCFA sur ce seul marché.

Bien qu'il ne soit pas signataire des marchés d'acquisition des tests de dépistage et eu égard aux montants en jeu, il est peu vraisemblable que le Ministre de la Santé Publique ait pu être tenu dans l'ignorance et à l'écart des manoeuvres tendant à facturer les tests de dépistage à un prix déconnecté de la réalité du marché.

6.2.2 La vente controversée de 15 000 tests de dépistage rapide COVID-19 par le Ministre de l’Administration Territoriale au Ministre de la Santé publique

Le 11 mai 2020, le Ministre de la Santé Publique a réglé la somme de 283 000 000 FCFA au profit du Ministre de l'Administration Territoriale sur un compte adhoc, dont la Chambre des Comptes ignore l'identité du titulaire, pour l'achat de 15 000 tests de dépistage rapide COVID-19. Cette somme a été reversée dans le compte BGFI du MINSANTE le 02 juin 2020 «sur instruction du Premier Ministre chef de Gouvernement »).

La Chambre s'étonne de cette transaction, alors que la réglementation n'autorise pas une administration à vendre des biens à une autre. Elle souligne que l'origine de ces tests est incertaine, même s'il n'est pas inhabituel que le MINAT reçoive des dons de cette nature dans les situations de crise.

Elle constate qu'en l'absence de prise en compte du reversement dans le livre journal banque du MINSANTE, il subsiste un risque que la somme de 288 000 000 FCFA fasse l'objet d'une appropriation privée.

6.2.3 Des liens d’intérêt unissant des sociétés attributaires de marchés spéciaux au Président du groupe de travail du MINSANTE participant à l’attribution de ces marchés

Au terme des travaux du groupe de travail du MINSANTE, trois (03) entreprises, ETS ABOA PERSPECTIVE, ABS MOTORS et PHASE ENGENEERING CAMEROUN SA, ont été attributaires de 5 marchés d’une valeur totale de 796 834 539 FCFA et ont en commun un même gérant.

La Chambre des Comptes a établi que le gérant de ces 3 entreprises est le frère cadet du Président du groupe de travail, qui a participé à l’attribution de ces marchés.

Compte tenu de l’opacité relative aux critères d’attribution de ces marchés et des liens unissant le Président du groupe de travail et le gérant de ces 3 sociétés, la Chambre des Comptes relève le conflit d’intérêt que cette situation recèle et souligne le risque élevé de qualification pénale attaché à l’attribution de ces marchés.

6.2.4 1,25 milliards FCFA de travaux payés sans être achevés

La Chambre a constaté des irrégularités majeures concernant les travaux d’aménagement des unités de prise en charge des patients atteints de la Covid 19.

Les 07 août et le 16 octobre 2020, les commissions « habilitées » ont procédé aux réceptions des marchés spéciaux pour la réhabilitation du pavillon de neurologie de l’hôpital central de Yaoundé (lot 2) d’un montant TTC de 214 999 000 FCFA et la réhabilitation/extension du pavillon LAGARDE de l’hôpital central de Yaoundé (lot 1) d’un montant TTC de 823 999 500 FCFA.

Pourtant, le 21 décembre 2020 lors de la visite sur place de l’équipe de contrôle de la Chambre des Comptes accompagnée du directeur et du conseiller médical de l’hôpital Central de Yaoundé, les travaux relatifs à ces marchés se poursuivaient encore, soit plusieurs mois après la signature des procès-verbaux de réception desdits marchés.

La même irrégularité a été constatée dans le marché spécial d’un montant TTC de 216 276 272 FCFA relatif à la construction d’un poste de santé aux frontières de l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen. Le procès-verbal de réception de ce marché a été signé le 22 avril 2020 alors que le 21 décembre 2020, date du contrôle de la Chambre sur les lieux, les travaux se poursuivaient encore. Dans ce dernier cas, non seulement le paiement a été fait avant tout service fait, mais il y a eu double paiement (cf infra § 6.2.4).

Au total, la Chambre constate que trois marchés spéciaux ont été réceptionnés et payés entre avril et octobre 2020 pour un montant total de 1 255 274 772 FCFA, alors que les prestations étaient inachevées à la date du 31 décembre 2020.

6.2.5 Des doubles paiements de marché générant un préjudice de 708,4 millions FCFA

6.2.5.1 La construction du poste de santé de l’aéroport de Nsimalen

Les travaux de construction du poste de santé aux frontières de l’aéroport international de Yaoundé NSIMALEN ont été attribués à la société ETS GLOBAL DISTRIBUTION par bon de commande administratif du 15 avril 2020 pour un montant de 216 276 272 FCFA. Deux paiements portant sur les mêmes prestations ont été effectués au profit de la société ETS GLOBAL DISTRIBUTION, pour des montants respectifs de 177 373 748 FCFA et 179 368 749 FCFA.

En outre, un marché spécial du 08 octobre 2020 d’un montant de 97 323 383 FCFA, attribué à la même société, reprend les mêmes prestations que celles du marché initial, à l’exception des travaux d’installation du gaz médical qui s’élèvent à 16 841 000 FCFA.

Au bout du compte, la construction du poste de santé de l’aéroport de Nsimalen a donné lieu à des paiements non justifiés pour un total de 259 851 132 FCFA à l'entreprise ETS GLOBAL DISTRIBUTION.

6.2.5.2 La construction d’un bâtiment à l’Hôpital Régional de Ngaoundéré

Le bon de commande administratif n 109 pour la construction d'un bâtiment d’isolement hospitalier à l’Hôpital Régional de Ngaoundéré, régularisé en marché spécial le 01 juillet 2020, a fait l’objet d’un double paiement, soit deux paiements de 228 534 093 FCFA chacun.

6.2.5.3 L’achat d’équipements de protection individuelle

La Chambre a identifié des doubles paiements dans les cadre des marchés d’acquisition des équipements de protection individuelle, pour un montant de 220 millions.

6.2.6 Construction, réhabilitation, extension et aménagement des unités d’isolement: absence de pièces justificatives

Alors que les cahiers des clauses administratives des marchés spéciaux prévoyaient la tenue de commissions de réception chargées de constater l’effectivité des travaux, la Chambre souligne que des paiements d’un montant total 815 817 708 FCFA ont été effectués sur 7 marchés, soit 53,29% du montant total des paiements effectués pour cette activité, en l’absence de procès-verbal de réception et du rapport d’achèvement de l’exécution des marchés, documents de certification du service fait et de validité de la créance.

*

EN CONCLUSION,

La Chambre des Comptes formule 30 recommandations.

Conformément à la loi, elle a également décidé d’ouvrir quatorze (14) procédures pour faute de gestion ainsi que une (01) procédure pour gestion de fait, et de transmettre au Ministre de la Justice douze (12) dossiers susceptibles de revêtir une qualification pénale.

RECOMMANDATIONS

Recommandations au Premier Ministre, Chef du Gouvernement

  1. Inscrire régulièrement à l'ordre du jour des réunions de l'instance interministérielle chargée du pilotage stratégique de la pandémie instituée auprès du Premier Ministre, l'examen des comptes du CAS COVID-19 et de la performance de chacune des actions financées.
  2. Inscrire à l'occasion de la prochaine répartition de la dotation du Fonds Spécial, des indicateurs de performance des programmes pour chaque administration bénéficiaire.
  3. Réviser l'évaluation des besoins de ressources à mobiliser pour 2022 et le cas échéant les années ultérieures, à partir d'une étude basée sur l'évolution de la pandémie et sur les résultats de l'exécution comptable du compte d'affectation spéciale en 2020.
  4. Interdire strictement le paiement en numéraire des marchés publics, irrégulier au regard des dispositions du décret n ° 2020/375 du 07 juillet 2020 portant Règlement Général de la Comptabilité Publique.
  5. Mettre un terme à l'autorisation de recours aux marchés spéciaux dans le cadre de la riposte à la pandémie.
  6. Modifier et compléter les articles 4 et 71 du décret n ° 2018/366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics afin de préciser quelles dispositions relatives aux marchés ne s'appliquent pas aux marchés spéciaux.
  7. Actualiser le décret n ° 74/199 du 14 mars 1974 portant réglementation des opérations d'inhumation, d'exhumation et de transfert de corps, en vue de donner une assise réglementaire à l'avis n ° 006/ AE/ CSUSP/ 2020 du 22 mai 2020 du conseil scientifique sur la gestion des corps des patients décédés des suites de COVID-19.
  8. Renforcer la capacité locale de production des médicaments de première nécessité, notamment en prenant des mesures visant à améliorer la compétitivité des sites industriels déjà installés sur le territoire national.
  9. Négocier une convention avec le propriétaire du bâtiment « ORCA » prévoyant une juste indemnisation et le rachat du bâtiment ou le cas échéant, un échange avec un autre bâtiment dont l'État est propriétaire.
  10. Annuler les crédits inscrits au budget du Fonds Spécial de Solidarité Nationale encore disponibles au titre de l'activité « Production de la chloroquine el de l'uzillrorlycine ».

Recommandations au Ministre de la Santé Publique

  1. Privilégier l'option du recours au Fonds mondial de lutte contre le VIH, la Tuberculose et le Paludisme pour l'acquisition des tests de dépistage, ou le cas échéant la commande directe auprès des fabricants.
  2. Abonder les crédits disponibles pour financer la surveillance communautaire à la hauteur des besoins, compte tenu des risques liés à la survenue d'une nouvelle vague de la pandémie, en répartissant ces crédits entre les districts de santé en fonction des critères objectifs notamment le poids démographique, le nombre de cas enregistrés, le risque de propagation du virus, le nombre d'aires de santé.
  3. Appliquer les textes relatifs à la comptabilité-matières, et donner au comptable-matière du MINSANTE les moyens de rattraper le retard dans l'inscription à l'inventaire des biens mobiliers et immobiliers et des stocks acquis depuis le début de pandémie, en affectant des moyens humains suffisants auprès de lui.
  4. Produire les statistiques de la durée de séjour à l'hôpital des patients atteints de la COVID-19 exprimée en nombre de jours d'une part, et du flux de patients pris en charge pendant une période donnée (mois, trimestre, semestre).
  5. Préciser les critères de prise en charge des patients atteints de COVID-19 présentant des comorbidités et/ ou une aggravation sévère.
  6. Arrêter une grille de primes des personnels applicables sur l'ensemble du territoire en cas de situation d'urgence et tenant compte entre autres des contraintes liées à l'accessibilité, à la mobilité, au nombre de malades, et donner aux hôpitaux les moyens de leur verser ces primes.
  7. Mettre en place des indicateurs permettant le pilotage administratif des activités du Programme 971 « renforcement du système sanitaire », portant sur le suivi mensuel de l'engagement des crédits par activité, le suivi des délais, le caractère opérationnel des bâtiments livrés, l'utilisation des stocks des biens achetés et leur distribution aux opérateurs de terrain, et la satisfaction des besoins des centres de prise en charge, notamment en médicaments et en oxygène.
  8. Élaborer et mettre en œuvre une procédure de contrôle et de validation des données collectées sur l'évolution de la pandémie COVID-19 par les acteurs de la pyramide sanitaire. 
  9. Mettre en place une application informatique centrale et intégrée de production et d'analyse des données statistiques sur l'évolution de la pandémie.
  10. Élaborer un dispositif de sauvegarde des données statistiques sur l'évolution de la pandémie.
  11. Élaborer les procédures administratives, financières et opérationnelles du Système de Gestion des Incidents (SGI).
  12. Mettre en place un outil informatique de gestion des opérations du Système de Gestion des Incidents (SGI). 
  13. Publier sur le site internet du Ministère, avec une mise à jour hebdomadaire, la liste des marchés attribués dans le cadre du Programme 971 « Renforcement du système sanitaire », avec le montant du marché, le nom de l'entreprise attributaire, sa raison sociale et le nom de son gérant.
  14. Associer systématiquement l'ingénieur du marché dans le suivi et le contrôle technique et financier de l'exécution des marchés, que la maitrise d'oeuvre soit publique ou privée. 
  15. Publier sur le site du Ministère l'intégralité de la série des « Rapports de situation COVID-19 »).
  16. Clôturer les comptes ouverts ş BGFI BANK et à UBA et assurer le reversement du solde au Trésor Public.

Recommandations au Ministre de la Recherche Scientifique et de l'innovation

  1. Livrer au MINSANTE les lots disponibles d'azithromycine stockés à l'IMPM, afin qu'ils soient distribués sans délai aux centres de prise en charge des patients atteints de la COVID-19.

Recommandations au Ministre des Finances

  1. Établir un tableau de trésorerie des opérations du FSSN et alimenter le compte n ° 470552 destiné à recevoir les ressources du Fonds par des versements du budget général dont le montant sera ajusté aux prévisions de décaissement.
  2. Intensifier les travaux de la réforme comptable engagée depuis 2020, notamment dans son volet portant sur l'automatisation de la collecte des informations comptables et financières, en vue d'accroître significativement la fiabilité du compte général de l'Etat, dans la perspective de sa certification en 2022.
  3. Élaborer des procédures de réception et de comptabilisation des dons en nature et en numéraires, consentis par les personnes physiques et morales.